L’abbé Flammarion n’a jamais oublié ses origines. Il naît le 25 juillet 1883, à Audeloncourt, village agricole et ciselier situé en Haute-Marne, actuelle région du Grand Est, où depuis des siècles, on vit au rythme des saisons et des évènements.
Il commence sa scolarité enfantine auprès de prêtres locaux, avant de brillantes classes à Chaumont et ses premières études sacerdotales au Grand Séminaire de Langres. Il complète sa formation théologique à Rome et devient docteur de l’Université grégorienne. En 1908, il arrive à Chaumont.
Modeste il est, modeste il restera. Il pourrait cependant s’enorgueillir de son lien de parenté avec deux célébrités de l’époque : l’astronome et physicien Nicolas, Camille Flammarion (1842-1925) et son frère l’entreprenant Ernest (1846-1936), qui participa à la fondation des éditions Flammarion en 1876. Ils étaient cousins un peu lointains.
Prêtre au grand sens social, il montre aussi un évident sens moral. Il participe à la création de la librairie catholique Jeanne d’Arc destinée au « ravitaillement » des intelligences. Il crée un atelier de confection pour dames et un ouvroir devenu œuvre de guerre, fournissant ainsi du travail à des jeunes filles internes et à des dames sans travail. Il s’occupe aussi du patronage féminin Jeanne d’Arc dont on rapporte qu’il l’aura fait grandir.
La guerre s’annonce. L’abbé, qui a fait un an de service militaire au titre du clergé, a le chagrin d’être réformé.
La pensée patriotique l’obsède malgré l’héroïsme, la générosité qu’il déploie dans l’accomplissement de ses devoirs paroissiaux en l’absence de ses confrères rappelés. « Deux fois, déjà je suis parti, disait-il, mais maintenant personne ne me retiendra ». Son désir d’être engagé comme aumônier au cœur des opérations de guerre ne le quitte pas. Après plusieurs démarches, il est enfin reconnu bon pour le service armé et part en février 1915. Il devient d’abord brancardier, puis aumônier au 12ᵉ régiment d’artillerie…
Quelque 32 000 prêtres, religieux, pasteurs et rabbins, étudiants en théologie jugés aptes au service armé sont affectés comme combattants ou aumôniers titulaires, volontaires ou bénévoles. Ceux versés dans le service auxiliaire rejoignent le service de santé, transportant, accompagnant, réconfortant, aidant, soutenant physiquement et moralement. Pendant la Grande Guerre, des milliers de soldats blessés sont évacués chaque jour. Les brancardiers se distinguent par le port d’un brassard portant une croix rouge et un cachet du ministère de la Guerre depuis les conventions internationales de Genève en 1864 et 1907. Ce brassard est censé mettre à l’abri soignants et brancardiers des tirs ennemis.
L’abbé Camille donne à la paroisse et aux jeunes filles de son patronage l’une de ses dernières consignes : « Si mon corps tombe, je vous confie l’exécution de notre vœu ». Et puis, dit-il aussi « Il n’est pas de charité supérieure au don de sa vie ». Patriote, il aime la France comme une mère et montre par ses actions que l’Église est partie prenante et non pas étrangère à ce qui se passe.
Il œuvre dans le Pas-de-Calais, à Verdun, puis dans la Somme, la Marne et les Ardennes… L’abbé Flammarion ne connaît que les chagrins des autres et sait les adoucir en y versant volontiers un peu de la douceur de sa joie. À travers tous les périls, son souci d’apôtre-soldat domine.
« Malgré beaucoup de bonne volonté, je me sens impuissant à remplir convenablement mon métier d’aumônier. Le régiment occupe beaucoup de place. Tel groupe est à 7 kilomètres du mien, aussi arrive-t-il comme l’avant-dernière nuit, que je ne puisse répondre à temps à l’appel des blessés. Il faudrait un prêtre par groupe pour les terribles bombardements que les 75 ont à supporter. »
Le 30 octobre 1918, vers 14 heures, notre aumônier tombe sous le coup d’un obus de 210 qui lui cause de nombreuses blessures mortelles. Il avait réalisé son idéal qui lui soufflait « l’acceptation du trépas pour ce qu’on aime » Pendant 3 ans, il va reposer au cimetière militaire de la commune ardennaise de Le Thour, qui l’aura vu mourir.
L’abbé Flammarion rejoint les multiples et longues colonnes du martyrologe chaumontais de la guerre. Quatre fois cité, décoré de la Croix de guerre en 1916 et de la Médaille militaire à titre posthume, son village natal d’Audeloncourt accueille sa dépouille le 15 février 1921, où la tombe est toujours présente.
Rappelons-nous le contexte : la guerre, une fois déclarée, avait rapproché les troupes ennemies de sa ville ; elles étaient alors seulement à 50 kilomètres de Chaumont. Dans un fragment de cahier rapportant les faits et gestes de son avant-guerre, l’abbé nota les quelques mots suivants : « 9 septembre 1914, communion générale des dizainières à Notre Dame de Lourdes ». Il fait alors la promesse de construire une grotte de Lourdes si « aucune des jeunes filles n’avait à souffrir en son honneur et si, après la tourmente, les œuvres reprenaient comme par le passé. », promesse transformée au moment de sa réalisation en « si les troupes ennemies n’envahissaient pas le diocèse, on ferait en sorte d’ériger une réplique de la grotte de Lourdes pour rendre grâce à Marie d’avoir entendu les prières ».
Le diocèse ne fut pas envahi. Après que l’auteur de la promesse mariale ait été fauché en pleine jeunesse à 35 ans, c’est son confrère, le chanoine Moussus qui reprit le vœu. Il fit relever à Lourdes les exactes dimensions de la grotte souhaitée.
C’est ainsi qu’au centimètre près, la réplique chaumontaise de la grotte de Lourdes s’élève dans un îlot de verdure transmettant son message de prière pour les morts pour la France et pour la paix, conformément au désir de notre abbé gravé dans la pierre.
À travers ce lieu de pèlerinage offert depuis 1922, animé par un campanile de 25 cloches, les promeneurs, paroissiens de Chaumont et ses environs, scouts et pèlerins divers, se recueillent et se souviennent de l’abbé Flammarion, de l’offrande de son sourire, de sa merveilleuse et joyeuse humeur, de sa foi et de son dévouement. « Même dans les larmes, vive la joie » disait-il.
A Audeloncourt aussi, on se souvient. Ses deux sœurs et ses deux frères, dont l’un fut mobilisé durant toute la guerre et l’autre prisonnier d’octobre 1914 à décembre 1918, firent en sorte d’obtenir des autorités militaires de pouvoir ramener assez vite le corps de l’abbé au cimetière d’Audeloncourt. Son nom figure sur le monument aux morts du village et est inscrit en première ligne sur celui de l’église. De plus, sur un vitrail dans cette dernière, est évoqué saint Camille de Lellis (1550-1614), protecteur des hôpitaux et des malades, né dans les Abruzzes et mort à Rome. Ceux qui l’ont offert ont souhaité que le saint, qui soigne et bénit un patient allongé sur une civière, ait le visage du Père Flammarion (mais sans l’auréole). C’est un signe de gratitude. Une histoire de chez nous.
On peut être grand et simple à la fois, être soldat et prêtre, plein de projets même dans la tourmente, vivre la guerre et savoir parler de la paix !
Martine Colliot,
à partir des souvenirs et éléments partagés par Hubert Flammarion, petit-neveu de l’abbé Camille Flammarion.